Quand j’étais gamine, je dessinais jamais les bras de mes bonhommes. Mes parents en ont fait tout un foin, ils n’ont jamais su que c’était parce que je n’aimais pas faire les mains. Pas de bras, pas de main, pratique hein ? Mais dessiner des lettres, ça,  c’était facile. J’aurais bien aimé vous raconter avec un ton un peu solennel, la première fois que j’ai tenu un stylo, le premier livre que j’ai lu, ou bien le moment si spécial où j’ai su qu’écrire allait être mon moyen de communication préféré. Le fait est que pour être honnête, je ne m’en souviens pas. Y a un tas de choses dont je ne me rappelle pas, des choses importantes. Et je crois bien que c’est la raison pour laquelle j’ai commencé à écrire, pour ne pas oublier.

Ma mémoire a toujours été mauvaise élève. Très dissipée, capricieuse, elle ne travaille que quand elle veut, elle sélectionne mes souvenirs avec des critères qui m’échappent parfois. J’ai donc bien été obligée de composer avec elle. Je prends soin des bribes de vie qu’elle m’autorise à mémoriser, et j’en fais des tableaux qu’il soit possible d’appeler souvenirs.  Je rafistole.

Les gens froissés, qui se déchirent les uns les autres, je n’ai jamais aimé ça. Alors, à mon échelle, et faut dire qu’elle a jamais été très grande, j’ai toujours essayé de réparer les gens. Mais comme je ne suis pas une bricoleuse hors pair, ben y a toujours des ratés et je m’en veux. Les gens c’est difficile à réparer.  Mais je m’entraîne depuis longtemps, je m’exerce sur moi et quand ça ne fonctionne pas trop mal, je teste sur les autres. Je suis une apprentie MacGyver, en fait. Avec une tonne de mauvais et de pas trop chouette, je te sors un truc qui fait que tu trouveras que la vie vaut presque le coup. Et quand ça marche pour toi, ça fait d’une pierre deux coups.  C’est magique, ça me rafistole.

Et depuis bien des années, mon instrument de rafistolage préféré est le stylo. Depuis que je l’ai trouvé lui, je le lâche plus. J’ai consolidé pas mal de murs en ruine, rien qu’avec de l’encre. J’en ai crocheté des serrures,  avec cette mine. Y a des portes que je n’aurais jamais pu ouvrir autrement. C’est ma trousse de premier secours. Je rapièce sommairement mais parfois ça tient pour de vrai, je vous jure !

Et chaque jour, je découvre avec joie et reconnaissance, les supers pouvoirs de mon stylo. Il a plusieurs cartouches. C’est un outil de communication, un moyen de transport en commun pas cher. C’est un attrape-rêve. Un trampoline. C’est le pote qui te fait sortir de ta prison. C’est celui qui va venir ouvrir les volets quand t’as oublié où est l’interrupteur pour la lumière.

 Et lui et moi, on forme une équipe du tonnerre.  On réussi pas toujours, même que souvent on se casse la gueule à pas marcher dans le même sens, où à la même vitesse. Mais il se tient toujours à ma main.

Et à nous deux, on peut rafistoler le monde !

Si, si.