• Rivages.

     

    Je ne sais pas où est le pire.

    Le froid humide, le manque, la nausée comme une seconde manière de respirer.

    Je ne sais pas.

    Tu n’es plus là, loin sur les rivages, loin de moi.

    Trois jours sans pêche et le capitaine et les gars sont comme des types dans une cage de souffre. L’odeur du poisson est incrustée dans nos chairs, on étouffe.

    On tente de passer le temps au goulot, aux cartes, au bras de fer. Et parfois seul comme un con, je t’écris.

    Toi tu vis encore, là-bas, sur les rivages, comme une frontière à l’étendue océanique violente et fracassante, une ligne pâle qui se découpe au loin de mon cœur qui fait mal, parce que t’as planté tes crocs dedans.

    Je te fais croire que marin c’est libre, je te fais croire ma force, ma fidélité absolue à ces rouleaux compresseurs hauts de quinze mètres qui fracassent la coque et le pont. Mon poignet déjà fracturé trois fois à remonter le filet déchiqueté par la grande marée. Je te fais croire aux vents qui tournent et me ramènent à toi mais il est tard maintenant, j’ai des écailles collées à la couenne, je pue la poiscaille crevée et la sueur. Même les mouettes se sont barrées.

    Au hublot je ne vois que le noir.

    J’ai perdu ta robe de jeune mariée vaporeuse qui résiste comme une grande dame outrée à mes grosses mains râpeuses qui se glissent et cherchent sous les voiles multiples la chaleur douce entre tes cuisses. Ton rire si clair comme un cristal dans mon oreille. Mon costard de pingouin à trois sous en promo que t’as trouvé sur le net et livré sans les frais. T’essaies de m’enlever tout ça, mais on dirait que t’arrives pas, que j’vais te prendre avec mon froc à mes chevilles, on s’en fout du moment que ma queue elle vient jusqu’à toi, on s’en fout tu répètes dans ton rire, et je trique comme un dément, perdu dans le blanc crémeux de ta robe immense, et je te cherche dans les minutes éternelles de ce jour absolu où tu deviens ma femme.

    Les marées d’Equinox ne sont rien contre ça, rien.

    Je te pénètre et on est recouvert de tous ces tissus classieux qu’on ne portera jamais plus. Ma queue me brûle tellement qu’elle va exploser mais je fourre ma langue dans ta bouche pour ne pas me rependre trop tôt, je veux que tu me crois le meilleur, marin d’océan qui tient son cap, je veux te voir jouir avant d’être fracassé contre les rochers dans l’écume jaillissante... Tu m’appartiens.

    J’imagine que tu m’appartiens. C’est moi ton gars ce jour-là.

     

    Je n’ai pas peur en mer, j’ai peur sur les rivages.

    Sur les rivages... toi.

    Sur les rivages, le son de ta voix, tes rires de grelots en éclats contre mon torse, l’odeur de sucre et de fumée de bois sur ta peau.

    Sur les rivages ta trahison. La façon dont lui t’as baisée dans notre cabane flottante plus d’une fois. Et est-ce que t’as hurlé, est-ce que t’as ri de moi, est-ce que tu m’as oublié dans ces instants-là?

     

    Le capitaine dit que notre seule maîtresse est la mer endiablée. Conneries ! J’ai envie d’enculer des putes à la chaîne pour oublier dans ton iris la lueur de ta fierté juste pour moi. Je lutte sans cesse contre l’envie de te frapper de mes poings serrés pour te défigurer, et l’autre connard, lui faire avaler son foutre laissé dans nos propres draps. Et vous voir noyés tous les deux, une pierre attachée à vos pieds. Pas moins que ça, pas moins putain !

    Les gars disent que ça me passera, que boire au goulot ça m’aidera, qu’on laisse nos femmes trop longtemps sur les rivages pour qu’elles tiennent le coup. Seules. A l’autre bout du monde, sur les rivages et seules.

    Nos femmes en pierres précieuses, qu’on imagine avec les gosses à lire des histoires au coin du feu comme notre phare qui éclaire dans la tempête, comme notre raison de vivre.

    Mais tu t’en souviens quand t’as sucé ce mec, tu t’en souviens sa queue comparée à la mienne si c’était vraiment bien ?

    Les gars disent Te bile pas, ça te passera, bois.

     

    Au tréfonds de moi ça s’effondre, comme les grands glaciers dans l’océan qui se réchauffe de la haine de l’homme pour son univers.

     

    Et la tempête fait rage depuis trois jours, le capitaine ne veut perdre personne de l’équipage, nous sommes cloîtrés dans les cabines, la nausée dans nos tripes, et quelques poissons qui crèvent d’ennui dans la soute à moitié vide.

    Je me recroqueville. Furieux et honteux.

    Tu m’as envoyé tes messages par satellite, j’ai fait comme si j’avais rien lu, tes pardons et tes supplications qui glissent sans effet sous mon regard hagard.

    Dès que le vent sera calmé nous sortirons sur le pont, dérouler les filets, s’arrimer au bastingage, briser nos os contre l’acier du navire, lutter pour ne pas être englouti par l’eau en furie.

    Je n’ai pas peur au milieu de l’océan.

    Je n’ai pas peur de la mort.

    Mais des rivages, j’ai peur car...

    Sur les rivages, la splendeur de ton corps minuscule qui ondule contre le mien trop large, et que je rêvais à moi pour l’éternité.

    Sur les rivages toi, ma femme au gout sucré et salopé.

    Et le sable. Les rochers.

    Sur les rivages, loin de moi, avec lui, tu t’en vas.

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Philippe Mangion
    Dimanche 17 Mai 2015 à 20:43
    Magnifique !
    2
    Mardi 19 Mai 2015 à 11:53

    Merci Philippe :)

    Ravie de t'accueillir parmi nous :)

    N'hésite pas à poster tes textes si tu en as envie, dans la rubrique

    "Commande du Diable" ou bien tu peux créer ta propre rubrique,

    ou bien rien aussi, c'est comme tu le sens...^^

    (Envoie moi un mp si tu veux les codes d'accès).

     

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